« LES BONS REFLEXES DU MANAGEMENT A DISTANCE » – Interview de Sophie Stoll

« LES BONS REFLEXES DU MANAGEMENT A DISTANCE »

 

Interview de Sophie Stoll, consultante experte en management d’équipes,

Par Isabelle Sauvage, directrice du cabinet de conseil RH Ressources et Carrières, le 11 mai 2020 :

 

Quel a été selon vous l’impact du management à distance pour les entreprises ?

Avec la mise en confinement soudaine des salariés face à la pandémie, le management à distance s’est imposé de fait dans toutes les structures, sans anticipation possible.

Globalement l’expérience s’est révélée positive ; elle a tout d’abord permis de lever des peurs :

Pour le manager la peur d’une perte d’efficacité de ses équipes avec le travail à distance, d’un manque de réactivité, la peur que certains salariés moins autonomes ou professionnels en profitent pour « lever le pied ». Pour les salariés plus seniors, cela peut être la crainte de ne pas maitriser l’outil technique ; pour les plus juniors celle de ne pas savoir s’organiser ou faire, sans l’aide des collègues. Et puis on peut citer des peurs plus inconscientes ou diffuses comme celle d’être oublié, de ne plus avoir envie de travailler, de se retrouver démuni, isolé….

 

Le management à distance a permis aussi l’apprentissage très rapide d’outils technologiques et leur utilisation quasi quotidienne dans une grande majorité de secteurs et d’entreprises. La plupart du temps, les managers ont pu constater la bonne volonté des équipes, leur autonomie, leur créativité et leur débrouillardise.

Et l’expérience s’est avérée efficace, si l’on en croit les premiers chiffres de reprise d’activité sur avril, notamment pour les entreprises de service.

 

Compte tenu de ce constat, on peut raisonnablement penser qu’il va y avoir un intérêt, voire une nécessité de continuer à utiliser le travail à distance, pour se mettre à l’abri d’autres événements de ce genre : grèves des transports, épidémies inondations …

 

Quels seraient pour vous les points d’attention du manager qui gère son équipe à distance ?

Manager « à distance » oblige le responsable d’équipe ou le dirigeant à mettre en œuvre toute sa palette de compétences managériales ;

chez Ressources et Carrières, on parle du management des 3 « S » pour STRUCTURER, STIMULER, SOUTENIR.

  • STRUCTURER, cela veut dire organiser le travail dans le temps, anticiper, fixer les objectifs et les suivre. Concrètement, c’est a minima un point d’équipe en début de semaine pour lancer la dynamique et fixer les feuilles de route. Il s’agit également de planifier des rendez-vous individuels avec les membres qui en ont le plus besoin, par exemple un junior ou un salarié travaillant sur un projet sensible.

C’est aussi récupérer les feed-back écrits pour faire le point en fin de semaine, refaire si besoin une « visio » pour vérifier la réalisation des objectifs, ajuster la suite avec des actions correctives.

Il s’agit aussi de « structurer le temps », se synchroniser et respecter des plages de travail communes avec les différents membres de l’équipe : par exemple en tant que manager, je ne peux pas travailler le soir si le reste de mon équipe a gardé un horaire classique de bureau.

 

  • STIMULER, cela signifie encourager, insuffler de l’énergie, donner envie, échanger sur de nouvelles idées et parfois aussi recadrer, rappeler à l’ordre pour retrouver le rythme de travail du collectif.

 

  • SOUTENIR, c’est porter une attention particulière aux personnes plus fragiles, isolées ou vivant dans des conditions de confinement plus difficiles, aux personnes malades ou qui ont eu des décès dans leur entourage durant la pandémie ; cela s’adresse aussi aux » juniors » qui ont besoin de plus d’accompagnement, d’explications, d’informations et d’échanges.

Il s’agit de soutenir également, par un management de proximité, des collaborateurs travaillant sur des projets nouveaux ou à forts enjeux.

C’est aussi garder le lien avec les personnes mises en chômage partiel du fait de la pandémie, pour montrer qu’on ne les oublie pas. C’est parfois réfléchir ensemble, solliciter l’intelligence collective pour trouver des solutions nouvelles. SOUTENIR, c’est enfin rassurer face à l’inconnu et l’incertitude, face à la peur de perdre son emploi.

 

En plus de structurer, stimuler et soutenir, le manager va devoir trouver avec son équipe la bonne alternance et le rythme adéquat entre ce qui peut être fait à distance et des points de rencontre en présentiel à programmer, en individuel et en collectif.

 

Comment s’organisent les structures dans cette nouvelle période de déconfinement progressif ?

La sortie du confinement est un entre-deux, qui va sans doute servir de période pilote pour la rentrée de septembre ;

Pour un certain nombre de PME, c’est un mix entre travail en présentiel et à distance sur la base du volontariat, avec adaptation des horaires selon les services :

À charge pour chaque service de trouver une organisation optimale entre les contraintes de l’activité de la structure, les interactions avec les clients, les sous-traitants, les contraintes et aspirations des salariés. Il s’agit de mettre en place les choses avec souplesse et agilité entre la direction, les managers et les équipes.

 

Après le déconfinement, comment s’organiser au mieux entre travail en présentiel et un travail plus pérenne « à distance » ?

Pour demain, on va rajouter un 4e « S », avec le fait de devoir faire du « SUR-MESURE » :

Il n’y a pas de solution miracle ou unique.

Il me semble important que le comité de direction organise avec ses membres son propre « retour sur expérience » : qu’ont-ils vécu ? Que souhaitent-ils garder ? Modifier ? Abandonner ? Créer ?

Il serait ensuite pertinent d’enrichir cette réflexion par le même travail au niveau de chaque manager avec son équipe. Il s’agit là de co-construire en utilisant l’intelligence collective de toute la structure, pour enrichir la démarche, faire adhérer et sécuriser l’avenir.

Concernant la nouvelle organisation, Il faudra trouver le juste milieu entre « présentiel » et « travail à distance » ; Il n’y a pas de règles, c’est selon le type d’activité, de clients, également en fonction de la taille de l’entreprise ou du service, de sa culture d’entreprise, de son organisation initiale …

Cela passera aussi par le fait de trouver le bon mode de communication adapté à la situation :

Par exemple rassembler physiquement l’équipe pour fêter un gros contrat, faire le bilan de l’année, reste important ; faire un entretien de recadrage ou de sanction est plus délicat en visioconférence. Par ailleurs il faudra être vigilant également quant à l’utilisation systématique du mail et du SMS.

 

Quels conseils donneriez-vous au manager, pour lui permettre d’optimiser ses réunions « à distance » ?

Pour optimiser la qualité des réunions en « visio », le manager a tout intérêt à demander à tous de préparer en amont, puis bien cadrer le rythme et les temps de parole … ou de bien déléguer ce volet. Il devra solliciter davantage ses collaborateurs en demandant du « feed-back », car en visio on peut se lasser et décrocher très vite si ça manque de rythme, s’il y a peu d’interactions ;  Il est important aussi pour lui d’aller à l’essentiel en prise de parole, avec des phrases courtes et des points de synthèse, tout en donnant « de la nourriture aux équipes », avec des ping-pong d’idées pour aller chercher les ressources de chacun ; par exemple en sollicitant la dimension créative de l’un, la rigueur de l’autre dans l’élaboration d’un projet etc…

 

Quelles conclusions peut-on tirer de cette expérience en accéléré du management à distance ? 

On s’aperçoit finalement que le management à distance nous donne plus de proximité que ce qu’on imaginait : les outils ont progressé dans leur facilité d’utilisation et permettent aujourd’hui de travailler plus efficacement, car de façon plus concentrée.

C’est un mouvement de fond, car les entreprises ont compris qu’elles doivent aujourd’hui sécuriser leur activité en limitant l’impact d’une grève ou d’une pandémie ;

L’optimisation des coûts de structure va aussi dans ce sens, notamment celui des mètres carrés de bureaux ; enfin certains métiers se pratiquent à distance depuis longtemps : c’est le cas des commerciaux, des consultants ou des informaticiens qui exercent leur activité sans forcément avoir de bureau dédié dans leur entreprise.

Le travail à distance est aussi une demande des jeunes générations, qui scindent différemment vie personnelle et vie professionnelle. Elles ont de plus un rapport très naturel à la technologie.

Sans aller sur du « tout techno », le travail à distance a fait ses preuves et je pense qu’il se poursuivra surtout dans les grandes villes : notre expérience inédite du confinement nous a démontré que l’on peut être efficace et professionnel à distance, et éviter ainsi de perdre deux heures dans les transports tous les jours.

Heureusement il restera quand même des moments de communication directe et de contacts …

Sans cette dimension essentielle, nous perdrions un peu de notre humanité !