L’insertion d’un jeune dans la vie professionnelle et sociale peut être un parcours semé d’embûches. Parce que soyons honnêtes, la transition vers l’autonomie n’est pas toujours un long fleuve tranquille. Le jeune cherche à découvrir qui il est, ce qu’il veut, et ce dont il est capable. C’est une étape qui peut engendrer frustration et difficultés émotionnelles. Accompagner un jeune en insertion veut aussi dire l’aider à faire face aux défis qui l’attendent, à naviguer entre les hauts et les bas, les doutes et les victoires.
Phase d’évolution vers la maturité
La période de transition entre l’adolescence et l’âge adulte est une phase de développement où l’on traverse les chamboulements biologiques et affronte les défis psychosociologiques liés à la puberté. Au niveau cérébral, la maturation du cerveau n’est pas tout à fait terminée et le cortex préfrontal – siège de la réflexion et du raisonnement – est la dernière partie du cerveau à atteindre sa maturité, vers 22-25 ans. Avant cet âge, le cerveau pas tout à fait mature du jeune gère tant bien que mal ses comportements et ses émotions qui sont exacerbées sous l’effet des hormones. C’est pour cela que, comparé à un adulte, un jeune a tendance à prendre plus de risques et à agir avec plus d’impulsivité car il est moins capable de contrôle et de réflexivité.
Frustration et émotions chez les jeunes
La frustration est un état émotionnel négatif ressenti par tout humain quand il est empêché de satisfaire ses désirs ou d’atteindre ses objectifs. Elle se manifeste généralement par la tristesse, la colère, le stress ou le désenchantement. Un enfant peut se mettre en colère et crier quand ses parents lui refusent quelque chose, c’est sa façon de manifester la frustration. Un autre peut être triste mais reprend ses jeux 10 minutes plus tard car il a appris, aidé l’attitude ferme mais bienveillante des adultes, à faire face à la frustration et à contenir ses émotions. Il sait qu’il faut patienter avant d’obtenir ce qu’il désire. En devenant adultes, nous apprenons qu’il existe souvent un conflit entre vouloir et pouvoir, et qu’il y a des problèmes et obstacles qui nous empêchent d’obtenir ce que nous voulons. Gérer les émotions et accepter la frustration sont ainsi des compétences psychosociales qui s’acquièrent dès l’enfance et qui se consolident tout le long de la vie.
Aujourd’hui, on observe une certaine hausse de l’intolérance à la frustration chez les jeunes. A vrai dire, ils grandissent dans un environnement très frustrant, étant exposés à des flots de publicité et influencés par les réseaux sociaux qui promeuvent des styles de vie enviables à grand renfort de selfies et de mises en scène. De plus, l’instantanéité offerte par les technologies numériques donne l’illusion qu’on peut obtenir tout en seulement quelques clics. Ce qui n’est pas le cas dans la « vraie » vie.
Des difficultés accentuées par les facteurs de l’environnement
En plus des grands changements bio-socio-psychologiques qui concernent tous les jeunes de cette tranche d’âge, les facteurs environnementaux défavorables peuvent influencer le développement de certains jeunes. Parmi les publics en difficulté d’insertion, beaucoup ont connu ou connaissent la pauvreté, la violence intra-familiale, l’absence d’un parent voire des deux, le harcèlement… autant de facteurs qui rendent plus vulnérables ces jeunes personnes en pleine construction. Un adolescent ou un jeune adulte a en général plus de difficultés émotionnelles quand il rencontre un obstacle ou vit un événement négatif, ne pouvant pas s’appuyer sur son vécu pour prendre de la distance. Ceci est d’autant plus vrai pour ceux qui présentent des facteurs de vulnérabilité : une rupture amoureuse peut provoquer un tsunami émotionnel et détruire leur estime de soi, un échec peut ébranler leur confiance en soi et entraîner l’abandon de leurs objectifs.
Par ailleurs, les jeunes ayant un faible niveau d’estime de soi et une image négative de leur corps (poids, taille, forme…) sont plus susceptibles d’être touchés par la consommation de substances et la négligence de l’hygiène et de la présentation physique. Si un certain laisser-aller vestimentaire et le manque d’hygiène peuvent être utilisés par certains adolescents comme des moyens de « résister » au monde des adultes, ces signes peuvent également révéler un mal-être, une souffrance physique ou psychique qu’il convient de ne pas ignorer.
Comment aider à renforcer l’estime de soi, à gérer les émotions et la frustration ?
Bon nombre de jeunes franchissant les portes des structures d’insertion ont été affectés par la dureté de leur environnement et leurs expériences de vie. Faciliter le développement de l’estime de soi chez ces jeunes, restaurer leur confiance en soi et en autrui, les aider à gérer leurs émotions et leurs frustrations pour aller de l’avant sont indispensables pour le succès de leur insertion. Bien entendu, la pratique de l’accompagnant et les relations interpersonnelles y jouent un rôle extrêmement important.
Il n’est pas rare que les accompagnants se trouvent en difficultés quand ils sont confrontés à la frustration des jeunes, se manifestant parfois par la colère, l’agressivité, la tristesse, le désespoir, ou l’abandon. Ces situations sont difficiles à vivre à la fois pour le conseiller et pour le jeune. Mal gérée, la frustration et ses manifestations, ainsi que les conflits qui peuvent en découler, peuvent non seulement impacter la relation de travail et la réussite de l’accompagnement, mais aussi nuire au bien-être psychologique de l’accompagnant lui-même. Bien que l’apprentissage de la gestion de la frustration et des émotions commence dans l’enfance, il est toujours possible d’aider le jeune à développer ces compétences qui lui seront utiles toute sa vie.
Pour y réussir, l’accompagnant doit être équipé d’un certain bagage théorique et pratique sur ces sujets. Les compétences fondamentales en intelligence émotionnelle sont essentielles pour identifier les émotions chez soi et chez les autres, ainsi que pour comprendre les besoins exprimés derrière une manifestation émotionnelle. Il est primordial que le professionnel soit capable de reconnaître et de réguler ses propres émotions afin d’aider l’autre à gérer les siennes. De plus, une régulation efficace des émotions favorise le maintien de la posture assertive de l’accompagnant, une position qui n’est pas toujours facile à tenir quand on est tendu.
Dans une situation de tension, l’application de techniques de régulation émotionnelle adaptées à chacun permet de prendre en compte la colère ou la détresse de l’autre sans tomber soi-même dans l’excès de stress et d’émotions. Tant que l’accompagnant reste en contrôle, il lui est plus facile d’aider le jeune à gérer sa frustration et ses émotions.
Par ailleurs, des méthodes telles que la communication non-violente peuvent être utilisées pour éviter de réagir en mode automatique ou de manière trop instinctive. En mettant en pratique consciemment cette méthode, on favorise la diminution de l’intensité émotionnelle en se concentrant et en fournissant un effort cognitif. Les différentes étapes de la communication non-violente permettent la verbalisation des ressentis et l’expression des besoins non-satisfaits de l’interlocuteur, contribuant au désamorçage du conflit. Tant que la communication n’est pas rompue, il est possible de restaurer le climat relationnel pour poursuivre le travail d’accompagnement.
Maï Lê – Gauthier – équipe pédagogique de Ressources et Carrières
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